Les Bois de l'ombre © Pascal Osten
Les Bois de l'ombre © Pascal Osten

À Dijon, Maxence Rey se dévoile au Musée des Beaux-Arts

Dans la galerie de Bellegarde, sous la voûte en berceau en bois, quelle est cette femme hiératique vêtue de noir, assise sur un cube blanc ? Elle semble statufiée, cette femme aux cheveux à la garçonne, avec son étrange chapeau noir. Elle semble incongrue au milieu de ces tableaux de la Renaissance et de l’époque baroque. Pourtant, elle est figée comme ces figures conventionnelles qui sont en représentation sur les murs, et à la fin, elle leur ressemble. Que sont ces « Bois de l’ombre » ?

Petit à petit, la danseuse s’anime, mais les mouvements effectués alors qu’elle est assise, sont progressifs et saccadés comme ceux d’une marionnette malhabile. Ils viennent de l’intérieur, du plexus, du ventre, comme poussés par une force qui les propulse malgré eux. Le résultat est fort et on cherche ce que l’on trouve parfois, une adéquation avec les tableaux environnants. Effectivement, certains gestes se retrouvent dans les exagérations des personnages peints et rendus expressifs pour signifier ou pour enseigner un comportement social.

Le spectateur est dans une proximité troublante avec la danseuse : placé sur le même plan que l’interprète, il se sent ainsi directement concerné par ces arrachements qui sont comme une naissance. Apercevrait-on des bribes de ce que les convenances sociales obligent l’individu à cacher ? Chaque nouveau mouvement provoque un enchaînement gestuel qui en induit un autre, ainsi, une progression s’opère vers l’animé, vers ce qui semble être l’humain. Les attitudes sont belles et, en même temps, elles sont faites dans la tension. Par l’effort musculaire, elles traduisent la difficulté à se débarrasser du superflu.

Petit à petit, le corps se dénude à son tour, le chapeau, la perruque noire, puis la robe sont jetés aux orties. L’apparition de la parole est suggérée par les lèvres qui articulent dans un souffle le poème Les Bois de l’Ombre d’un poète portugais. Le corps dévoilé devient l’unique sujet de la danse. Il entre en résonance avec le tableau voisin qui représente une Vénus lascivement endormie, vêtue seulement de ses bijoux. Elle est nue, quasi extatique. Que se cache-t-il derrière ce visage qui n’est pas celui d’un déesse majestueuse et consciente de sa beauté ? Que se cache-t-il derrière la femme fabriquée par les magazines ?

Danaé se dissimule derrière la déesse, comme la femme de chair et d’os obligée de se cacher sous des oripeaux qui la stigmatisent. Ainsi, Maxence Rey interroge avec angoisse, avec lucidité aussi, la position qu’occupe la femme dans la société. Pourtant, à la toute fin, se dégage une lueur d’espoir.

Suite au Parcours Chorégraphique (Extensions Les Bois de l’Ombre et CURIOSITIES solo) au Musée des Beaux-Arts dans le cadre du festival Art Danse Bourgogne – Dijon – 31 janvier 2018

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Les deux faces de Janus

Il est étonnant de voir jusqu’à quel point une œuvre peut changer de visage et, même, totalement son sens originel selon les lieux et les circonstances selon lesquelles elle est présentée, la lumière, voire le temps. L’opus 1 de Maxence Rey, Les bois de l’ombre, est un solo créé à Montreuil en mars 2010, solo qui interroge la transformation, la mutation, la métamorphose du corps. Une pièce qui nécessite, pour le spectateur, de pénétrer jusqu’aux tréfonds de l’âme de son auteur, de s’éclairer de sa lumière intérieure, de se glisser dans son ombre jusqu’à se substituer à elle. Si l’œuvre avait été créée dans une petite salle totalement obscure, elle avait cependant été conçue pour être présentée dans les lieux les plus divers, voire même atypiques tels parcs ou jardins, musées ou centres d’exposition, halls et lieux publics, voire même appartements… La noblesse de l’attitude de son auteur-interprète avait laissé planer un étrange et indéfinissable parfum qui m’avait alors inspiré ces quelques lignes :

« Elle est là, assise, immobile, dans la pénombre, le visage figé, éclairé par un pâle rayon de lune. Dans le silence de la nuit. Sa fragilité inquiète autant qu’elle attire, sa présence, mystérieuse, énigmatique, inspire par instants la peur. Qui est-elle ? Qu’attend-elle ? La pâleur iconique de ses traits évoque une vierge de Cranach, son attitude hiératique et sa coiffe, une haute noblesse. Une femme sphinx ? Un parfum de mystère émane de son regard qui nous regarde sans nous voir, absente. Son corps s’anime soudain, s’étire, se tend. Sa coiffe, un cône renversé tourné vers le ciel comme pour attirer les foudres, prolonge son corps, l’ouvrant sur l’infini. Petit à petit, celui-ci se dévoile, sort de l’ombre, laissant apparaître sa fragilité. L’univers sonore de Vincent Brédif le caresse, le pénètre, le dépouille, le secoue, le transforme. Jouet dérisoire que l’on casse. L’enveloppe noire dont ce corps était ceint se brise peu à peu. Une femme apparaît alors dans toute sa crudité, son humanité, son accessibilité. Une enveloppe fragile la recouvre encore, empêchant sa chair de parler. Elle disparaîtra peu à peu sans avoir toutefois dévoilé son mystère, sans avoir livré son secret ».

C’est dans un espace radicalement opposé qu’il nous est donné de revoir cette pièce, un chantier de construction flanqué de deux immenses blocs d’immeubles dans une zone d’aménagement concertée (ZAC) d’Ivry. Un lieu magique s’il en est un, à mi chemin entre un chantier de fouilles et un forum éphémère, au sein duquel le public accède par une passerelle de planches posées à même le sol. Un lieu en mutation qui, par conséquent, sert à merveille les propos de la chorégraphe. Mais aussi un lieu insolite, à priori peu amène pour accueillir un spectacle, a fortiori chorégraphique.

Les Bois de l'ombre © Jean-Marie Gourreau
Les Bois de l’ombre © Jean-Marie Gourreau

Présentée dans un tel site au coucher du soleil, l’œuvre, interprétée sur une butte de terre en guise de scène, devait évidemment prendre une autre signification et perdre un peu du mystère induit par les lumières de Cyril Leclerc dans l’obscurité du théâtre. Mais elle prit une autre dimension, révélant bien évidemment la beauté de l’espace en le mettant en valeur mais aussi la féminité et la poésie de l’être dansant s’abandonnant peu à peu aux voluptueuses caresses des rayons rougeoyants du soleil couchant. Une œuvre à deux visages qui, par conséquent, mériterait d’être vue – et donc présentée consécutivement ou en alternance – de jour comme de nuit…

Les Bois de l'ombre © Jean-Marie Gourreau
Les Bois de l’ombre © Jean-Marie Gourreau

Suite à la représentation en extérieur à TRANS/2 – Ivry sur Seine – 7 septembre 2012

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黒のドレスと風変わりな帽子をかぶり、斜に構えて客席を見つめる女性。気高く、しかしその冷めた目線が別の次元の人のように思わせる。そう、森の女王。日 の当たらない闇からすべてを見透かしているような、そんな雰囲気が漂う。25分の作品の間、ほとんど移動せず中央で踊るが、彼女の持つ雰囲気が好きだっ た。ムッスー/ボンテ・カンパニーで踊っているように、心理描写のできるダンサーだ。プログラムに「プロテウスのように絶えず形を変えるソロ」と書いて あった。なるほど。(10月14日エトワール・デュ・ノール劇場/フェスティバル

Suite à la représentation du 14 octobre 2011 à L’Étoile du Nord, Paris, dans le cadre du festival Avis de Turbulences#7

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Dix ans : ailleurs mais maintenant

Dix ans c’est le temps de l’oubli, souvent. Des souvenirs épars, des rêves et du vent. Ce qu’il en reste, de 10 ans de danse à Mains d’œuvres ? Ça dépend… A chacun ses 10 ans. Pour ma part moins de dix: cela commence vers fin 2006, devant Perrine Valli. Aussitôt étonné par cette sage- ou pas si sage- géométrie. Une première leçon de patience. Ou encore: cela prend feu l’hiver auparavant, alors je n’avais pas encore cédé à l’utopie d’écrire (pour essayer d’un peu moins oublier). Avec Kataline Patkaï-, Appropriate clothing… Il faut imaginer la violence du choc pour quelqu’un de peu préparé à ce que se permet la danse contemporaine: c’est-à-dire à peu prêt tout. Et ici à ce point de vue si détaché, d’une lenteur clinique, sur les gestes de l’érotisme. Tout est donc possible: je reviens…

Rarement déçu par la suite- un puzzle de sensations- et toujours étonné. 10 ans ne font pas un bloc, un récit ou fil, mais une addition de tous ces moments, de ces libertés, de ces dons d’artistes qui échappent à mes attentes. Les robots de Geisha Fontaine et Pierre Cottreau qui fondent un nouvel ordre, ou désordre, inquiétant en noir et blanc. Le délire baroque de Jesus Sevari. Les fleurs et la fraicheur de Marie-Jo Faggianelli. L’absolue étrangeté de Sofia Fitas, son corps recombiné. La drôlerie grinçante d’Isabelle Esposito. La gravité d’Olivier Renouf. Le magnétisme de Maxence Rey. Le trouble de Camille Mutel. L’ironie de Leila Gaudin…

Je crois que ce que l’on trouve ici, à Mains d’œuvres, c’est le temps. 10 ans, font bien plus. Pour les artistes le temps de créer. Un temps essentiel, élastique, dilué, muri, perdu, en extension, accéléré… Je pense à Éléonore Didier qui transporte dans ses pièces même toute la substance de ce temps que ne peuvent mesurer les chronomètres, qui dissout d’audaces nos impatiences. Car pour le spectateur c’est un temps d’ailleurs: j’ai l’impression inexplicable d’être à Mains d’œuvres loin de tout et du reste, en dehors et libéré, dans ce lieu familier, brut de béton, moins intimidant qu’un espace de représentation. Pas prêt d’être rattrapé par quoique ce soit, à pouvoir n’y rien faire d’obligé pendant des heures. Avec le temps de rencontrer et d’échanger : des écrits croisés avec Jerome Delatour, Pascal Bely… Angela Conquet m’invite dans son cercle des regards, pour discuter avec les chorégraphes en amont. Je ne sais ce qu’ils en font… pour ma part j’apprends alors encore à regarder, yeux ouverts tout accepter, et gouter à la drôlerie des incompréhensions et des appropriations (la liberté).

10 ans. Qu’en reste-t-il ? Le courage de laisser les souvenirs s’envoler comme des tourbillons de feuilles mortes. Surtout la confiance, l’envie, le désir, d’y revenir, d’y découvrir. 10 ans de plus.

Suite à une représentation dans le cadre des 10 ans de la danse à Mains d’œuvres / Saint-Ouen – 10 octobre 2011

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La danse aux Brigittines

Sur le plateau de la Chapelle des Brigittines où se trouve le Centre d’Art Contemporain dirigé par Patrick Bonté, trois jeunes femmes nous proposent chacune – pour trois jours seulement – une chorégraphie originale :

Maxence Rey (Française) avec un solo pour une pièce protéiforme « Les bois de l’ombre ». C’est le travail du corps reposant sur une chaise, en perpétuelle oscillation, entre légèreté et oppression, entre pénombre et lumière.
Un mystère enrobe cette femme. Ses mouvements gracieux et charnels font apparaître les fragilités et les secousses du corps : « corps mythique, corps brisé, corps absurde, corps frénétique, corps végétal… »
Une musique obsédante et répétitive se répand dans cette magnifique et vieille chapelle…

Julie Bougard (Belge) avec une chorégraphie bien particulière au titre surprenant : « Drache » <…>
Ambra Senatore (Italienne) nous entraine dans sa « cuisine » et nous prépare une sacrée bonne omelette, réussie qu’elle offre aux spectateurs. <…>

Un très beau spectacle en trois volets !
Trois chorégraphies imaginées, écrites, mise en scène et en mouvements par trois jeunes danseuses.
Bravo à Maxence, Julie et Ambra, avec l’espoir de les revoir un jour, un soir aux Brigittines, lieu mytique et incontournable…

Suite aux représentations aux Brigittines / Bruxelles, Belgique – 4, 5, 6 mars 2011

Dans la pénombre, une femme est assise. Elle grave l’espace, taille la force, entaille le silence. Chant muet, monolithique. Empreinte viscérale de la fragilité. Elle danse les rythmes de la chair, les amorce, les révèle et les inaugure. Concentrée, déployée et sismique, elle descend dans les ombres du corps, les invoque avec une infinie grâce, dans un morcellement libre à gestes voluptueux et tranchants.

Suite aux représentations à Mains d’œuvres/Saint-Ouen – 11-12 juin 2010.

<…>Pour tout décor, un cube blanc, sur lequel la jeune femme passera le plus clair de son temps. La mariée était en robe noire, un vêtement confectionné en une matière légère, soyeuse ou synthétique, moulante au niveau du tronc et évasée à partir des membres postérieurs. Elle arbore le chapeau d’une prêtresse orientale d’un culte jusqu’ici inconnu, qui rappelle vaguement la toque s’élargissant vers les cieux des popes orthodoxes, le couvre-chef en entonnoir de Farida Khelfa, ex-égérie de Jean-Paul Goude, dans un clip où elle tournoie comme un derviche, vêtue d’une robe à panier, tenant dans ses bras le couturier Azzedine Alaïa, ainsi que la coiffe des danseuses zulus — celles du groupe Shikisha, par exemple.
Maxence Rey est majestueuse, solennelle, olympienne, là-dessus, pas de doute. Et énigmatique. Son regard nous transperce. La danseuse est douée pour le mime. Elle passe tranquillement de l’immobilité absolue à des panoramiques du visage et à des pivotements discontinus du reste du corps.
Elle prend appui sur la demi-pointe, tend comme il faut les mollets, met en valeur le cou de pied, les jambes, les bras, se montre à son avantage, d’abord de face, puis de profil.
Le corps s’anime peu à peu, est parcouru de tressaillements, de soubresauts ; elle tend une main, puis le bras tout entier vers l’arrière ; elle produit des vaguelettes avec ses membres supérieurs en un réflexe de cygne noir ; elle change d’axe, d’angle d’attaque, de position et, tout en restant assise, relève la tête ostensiblement, puis étire tout le haut du corps vers le fond de la salle ; plus tard, elle se lèvera et montera sur le piédestal pour y poser comme si elle était la reine d’Égypte…
L’engagement total de la jeune femme, sérieuse comme une papesse, sa belle allure et sa force de persuasion sont tels que nous nous sentons obligé de comparer sa variation au classique de la modern dance, le Lamentation (1930) de Martha Graham et à la série de variations de Carolyn Carlson, Blue Lady (1983).
Certes, l’intensité n’est pas tout à fait la même. Ni la virtuosité. Les pionnières américaines tiraient de remarquables effets plastiques et dramatiques d’accessoires aussi élémentaires que des robes en jersey — ainsi que, dans le cas de Martha Graham, de son voile… semi-intégral.
Mais Maxence Rey exprime sobrement ce qu’elle a à dire. Elle a déjà, c’est incontestablement un atout, le sens du spectacle et elle nous réserve quelques surprises pour son finale — une façon toute personnelle de se dévoiler en désignant les artifices auxquels elle a eu recours. Son affaire est rondement menée et, malgré son titre, la pièce a une structure nette et précise.

Suite aux représentations Festival Petites Formes Cousues – Point Éphémère/Paris – 19-20 avril 2010.

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J’avais vu une étape des Bois de l’ombre à Mains d’œuvres. Tout a changé. Son registre s’est étendu. De la sérénité. Maxence balance vers la sensualité. Une cérémonie secrète. La chaise a disparu au profit d’un cube. Sa robe, d’un noir de soirée. Des centaines de bougies tremblent. Leur lumière dansante grêle Maxence de taches de lune. L’image d’une cérémonie secrète. Toujours les jambes qui se plient, se déplient. Je prête aux gestes des sens mystérieux. Elle feint d’elle-même s’y perdre, et se considérer, ébahie, agitée. Belle bande son. On s’y croirait (mais où ? je ne sais). Effets de robe et de jambes. Ruades imprévues. Montée de l’inquiétude.

Suite aux représentations Festival Petites Formes Cousues – Point Éphémère/Paris – 19-20 avril 2010.

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Émission de radio Les Fourmis dans les jambes – Danse pour architectures intérieures

Rencontres, interviews, critiques de spectacles et d’ouvrages.

Invitées :

  • Angela Conquet, chargée de la danse à Mains d’œuvres à Saint-Ouen.
  • Clara Cornil et Maxence Rey, chorégraphes.
  • Mylène Lauzon, poète.

Cette émission, consacrée à la danse, est proposée et animée en direct par Gaëlle Piton chaque deuxième jeudi du mois de 17h à 18h, sur IDFM 98.0 FM ou sur http://idfm98.free.fr.

Écouter l’émission du 8 avril 2010

Un parfum de mystère

Elle est là, assise, immobile, dans la pénombre, le visage figé, éclairé par un pâle rayon de lune. Dans le silence de la nuit. Sa fragilité inquiète autant qu’elle attire, sa présence, mystérieuse, énigmatique, inspire par instants la peur. Qui est-elle ? Qu’attend-elle ?
La pâleur iconique de ses traits évoque une vierge de Cranach, son attitude hiératique et sa coiffe, une haute noblesse. Une femme sphinx ? Un parfum de mystère émane de son regard qui nous regarde sans nous voir, absente. Son corps s’anime soudain, s’étire, se tend. Sa coiffe, un cône renversé tourné vers le ciel comme pour attirer les foudres, prolonge son corps, l’ouvrant sur l’infini. Petit à petit, celui-ci se dévoile, sort de l’ombre, laissant apparaître sa fragilité. L’univers sonore de Vincent Brédif le caresse, le pénètre, le dépouille, le secoue, lui imprime des mouvements répétitifs, le transforme. Jouet dérisoire que l’on casse. L’enveloppe noire dont ce corps était ceint se brise peu à peu. Une femme apparaît alors dans toute sa crudité, son humanité, son accessibilité. Une enveloppe fragile la recouvre encore, empêchant sa chair de parler. Elle disparaîtra peu à peu sans avoir toutefois dévoilé son mystère, sans avoir livré son secret.

Suite à la représentation au Festival Les Incandescences – Théâtre Berthelot – Montreuil – 31 mars 2010

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Et pourtant elles causent
Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on entend beaucoup parler sur les scènes de danse. A tort et à travers? D’aucuns jugeraient, mais jugeraient un peu vite, que le discours est la négation même de la danse, rien qu’un processus d’intellectualisation s’exerçant à rebours du corps. Les choses sont moins tranchées, heureusement, et les frontières d’un flou salutaire: il existe du théâtre sans texte également. N’empêche. Trans-discipliner n’est pas transcender. Qu’ils soient rangés dans la case «théâtre » ou la case « danse » telles que définies dans les programmes des lieux culturels, un Jan Fabre ou un Rodrigo Garcia se rencontrent au milieu du gué pour se noyer dans le même didactisme pesant. Les mots alors utilisés pour en remettre une couche à la destination de ceux pour qui l’image n’aura pas suffit pour comprendre…. D’autres chorégraphes considèrent le texte comme un moyen supplémentaire et expressif dont ils auraient tort de se priver. Mais sans toujours savoir le manier ; leurs pièces s’enrayent souvent en route d’une parole tentée au mauvais moment, mal maitrisée, et peinent à redémarrer. Là voix et gestes dissonent. Plus prudente, Maxence Rey (Les bois de l’ombre) choisit de parler… mais sans un son, lèvres ouvertes sur le mystère, offrant le sens à l’imagination… Ce qui semble nouveau dans des pièces tentées par quelques chorégraphes féminins vues ces derniers mois, c’est le parti pris de mettre paroles et gestes à égalité, assumés au service d’une narration organisée. Elles racontent des histoires…
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Dans le noir, une figure assise hiératique jusqu’à l’hautain sur une chaise, coiffée d’une capeline redressée comme une mitre de jais. En lents mouvements qui ne quittent presque jamais l’assise, soutenue par une pulsation sourde, cette femme seule paraît faire le tour des possibilités qui lui sont offertes. Un certain trouble quand les jambes s’écartent largement, que le regard se campe. Chargement de lumières et changement de poses; les jambes sont haut dressées, les bras au sol, la tête à la renverse. Il y a de l’offrande dans ces attitudes et jamais d’abandon. Même dans ce qui ressemble à une jouissance muette, il n’y a pas d’échappatoire. <…> Pour son premier travail personnel, Maxence Rey offre une vision saisissante et un peu glaçante d’une situation d’enfermement sur soi.

Suite à la présentation d’une étape de travail aux Plateaux- CDC/Biennale de danse du Val de Marne du 25 septembre 2009

Pour son premier solo, encore tout juste ébauché, Maxence Rey a choisi un beau titre énigmatique ; à l’instar de sa coiffe étrange, évasée comme la couronne de la sublime Nefertiti. <…> Mais dans son regard monumental, je préfère croiser l’œil surréel des korè archaïques, mieux celui d’une cariatide, soutenant un temple invisible.
Sa tête semble porter ce poids immense et son œil nous jeter un sort. Nous sommes dans la théâtralité, un jeu de gestes et de pupilles. <…> Cette coiffe intrigante, ces poses raides, ce violent clair-obscur composent une figure hiératique, hors du temps et de la vie. A peine quelques mouvements triviaux tentent-ils de troubler cette image et de la rendre plus humaine. Vissée sur sa chaise, elle chuchote des choses inaudibles. Je ne démords pas du passé. C’est une sibyle, une de ces simples femmes par qui le monde caché parlait en les faisant trembler, un intercesseur.

Suite à une étape de travail présentée sur invitation à Mains d’œuvres – 4 septembre 2009

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D’abord la présence de l’interprète- c’est un fait : on n’oublie pas Maxence- en longueurs et étrangeté, l’attraction du visage, des yeux. Tous les mouvements partent de ces yeux. La théâtralité naît en cet endroit, sans vains bavardage. Rien n’est prononcé à voix haute (et c’est heureux). Il est question de vulnérabilité : le personnage se débat de quelque chose, femme muette et sidérée. L’intérêt, c’est que cette lutte se laisse tout juste deviner, sans l’aplatissement de l’évidence, pourtant l’action confinée dans l’espace de cette chaise, ses stricts alentours. Dans cet espace contraint: des éclats de paniques, des éclosions empêchées, des gestes échappés, des impressions renversées, bouleversées. Ce qui ne revient à ne rien dire sans évoquer la manière dont cela s’incarne : l’interprète semble éminemment extensible, élastique à tâtons, noire gainée,danse tout en lignes, se transforme, lance des ombres, en surprises et lenteur ménage des accélérations. Entre jambes et bras qui n’en finissent pas de s’allonger, le corps disparaît, les sensations fusent et s’évadent, et bizarrement c’est drôle, souvent. Il y a aussi le costume et ce chapeau très étrange. Les accessoires s’imposent pour déterminer une temporalité…ambiguë. Ici c’est le concret qui crée l’inexpliqué, conjugué à la force d’évocation du corps, nous renvoie à rêver à des multiples et possibles références.

Suite à une étape de travail présentée sur invitation à Mains d’œuvres – 4 septembre 2009

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