Anatomie du Silence - Revue de presse
Un pendule lumineux nous accueille, des nappes sonores créent un silence qui n’en est pas un. Un corps allongé : Maxence Rey est seule en scène. Elle nous invite à une heure de suspension, d’observation et d’écoute. Telle une sculpture, son corps devient matière à lumière. Sa peau, sa silhouette racontent une histoire. Son souffle nous incite à ralentir notre propre rythme. Peu à peu, des gestes imperceptibles créent un mouvement. Ralentir pour regarder autrement, respirer, ressentir. Dans un monde où règne la vitesse, cet éloge de la lenteur nous offre une expérience précieuse : l’apaisement.
Danseuse de formation classique et contemporaine, chorégraphe mais aussi adepte du Qi Gong, Maxence Rey livre un solo tout en retenue, puissamment sensoriel. Elle travaille dans le détail, le subtil, le ténu, grâce à la remarquable maîtrise d’un matériau vivant brut et malléable – son corps – qu’elle expose par fragments à la lumière complice de Cyril Leclerc
Une création sonore orchestrée par Bertrand Larrieu soutient ce lent mouvement qui se dilate dans le temps : elle habite le silence et le fait étrangement résonner. Son, lumière, mouvement participent ainsi d’une même invitation à l’intériorisation, intime et collective, pour l’interprète comme pour les spectateurs.
Annonce des deux représentations du 7 décembre 2019 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
Maxence Rey – Anatomie du Silence
La chorégraphe Maxence Rey, à la tête de la compagnie Betula Lenta depuis 2010, creuse une voie artistique, obsédée par « l’imperceptible, le frémissement… pour faire émerger des états de corps singuliers, où la figure côtoie la défiguration ; le charnel, l’informe ; l’humain, l’inhumain ; le tout en prise avec la souveraineté du fantasme ». Avec ce solo, elle offre une variation magnétique sur le thème de la lenteur et de l’écoute, en revendiquant « une attention au subtil ».
Annonce des deux représentations du 7 décembre 2019 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
Corps au ralenti et gestes suspendus
Plusieurs spectacles de danse, en cette rentrée, témoignent d’une propension à la lenteur et à l’introspection.
La manœuvre de la rentrée consiste à… ralentir ! Autrement dit, lever le pied d’un côté, appuyer sur le frein de l’autre. Un changement de vitesse que de plus en plus de chorégraphes enclenchent. Dans le sillage millimétré de Myriam Gourfink, championne du mouvement microscopique depuis 1996, la lenteur et la suspension du geste dilatent des spectacles aux infra-intensités, à l’opposé des trépidations actuelles.
Cette décélération, Anne Teresa De Keersmaeker invite le public à la vivre dans Slow Walk, dimanche 23 septembre, à Paris. Ouverte à tous, cette manifestation prend appui sur cinq groupes de personnes qui vont converger place de la République. « En ralentissant la marche, le temps et l’espace prennent d’autres contours, commente-t-elle. L’époque nous invite à la consommation instantanée, mais marcher ainsi nous jette dans une direction opposée. Dans l’environnement urbain, le projet a une puissance de révélation : il souligne l’impatience perpétuelle et vaguement irritée qui est devenue l’air que nous respirons. »
Au carrefour du phénomène sociétal et esthétique, cette réduction de la voilure dégage un nouveau terrain de recherche. Souvent nourris par la pratique du yoga, du qi gong et de la méditation, ces artistes délaissent la question de l’écriture de la danse pour s’arrimer aux couches les plus profondes de l’être. Souffle, respiration, poids deviennent les piliers du mouvement. « Le travail sur la lenteur permet d’accéder à un corps essentiel et d’être entièrement présent à soi-même, explique la chorégraphe Maxence Rey, dont la plupart des spectacles se déroulent au ralenti depuis 2010. Il agit comme une baisse de tension mais convoque une intense disponibilité de l’interprète. Le lent n’est pas la mollesse. » En tournée, Anatomie du silence dépose un corps dont la peau mouvante devient la surface de projection de l’imaginaire du spectateur.
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La DANSE à la Manufacture, Avignon le Off 2018 : « indisciplinaire ! »
Comme il se doit, il faut passer par la Manufacture pour rencontrer les écritures singulières et plurielles de la chorégraphie qui s’écrit et s’invente aujourd’hui !
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Moulage et ronde bosse
C’est un havre de paix, un sanctuaire, ode au silence et à la lenteur que cet opus très plastique.
Un corps de femme, nu, éclairé minutieusement, dévoile peu à peu, formes et sons, membres et positions singulières. D’abord au sol, comme une statue de Maillol ou de Déesses grecques, la danseuse « évolue » très indistinctement et fait bruisser toute sa corporeité. Lumières confondant volumes et courbes, quasi fluorescentes pour modeler des instants féeriques dans l’espace qui frissonne. La sculpture ira jusqu’à s’ériger lentement dans un acte de verticalité laissant percevoir une anatomie ,insigne de beauté, de sérénité, de félicité. Figures de Hans Arp ou de Rodin, l’esprit voyage dans le temps, avec ravissement
Maxence Rey maintien l’énergie à fleur de peau et profondément laisse sourdre magnétisme , hypnotique et confondant
Et si tous les musées se dotaient de danseurs, la sculpture serait muse et inspiratrice de bien des comportements!
Suite aux représentations à la Manufacture, Château de Saint-Chamand // Festival Off d’Avignon du 10 au 16 juillet 2018
Rencontre chorégraphique La danse se livre avec Maxence Rey, Camille Mutel, Frank Micheletti
En collaboration avec le CDCN Les Hivernales, le blog anime les rencontres chorégraphiques au Village du Off, La Danse se livre. La première rencontre a eu lieu le lundi 9 juillet avec les chorégraphes Maxence Rey (Compagnie Betula lenta), Camille Mutel (Compagnie Li-luo) et Frank Micheletti (Kubilai Khan Investigations). Retour sur les spectacles présentés durant ce #OFF18.
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Préparez-vous à plonger au plus profond de vous-même avec Anatomie du silence de la chorégraphe Maxence Rey. La chorégraphe dit de sa proposition qu’il s’agit d’un moment suspendu. Effectivement, elle agit de cette façon. Elle aspire le regard et vous projette dans un temps à-côté, pas celui qui vous pousse à courir, non un à-côté qui vous fait prendre conscience toutes les composantes physiques d’un corps.
C’est une invitation à entrer en communion avec son intérieur qui se met en place sur le plateau. La chorégraphe exécute des micro-mouvements qui ont pour effet de vous faire ralentir votre respiration, votre agitation intellectuelle également. Une quiétude envahit celui qui se laisse aller là où Maxence Rey est déjà.
Son corps devient le théâtre de tous les possibles. Un bras qui se lève, une main qui se pose, le dos qui se creuse, sont autant de gestes accomplis avec lenteur et plénitude. Les formes géométriques, qui se dégagent des figures, racontent le corps que chacun possède. Cyril Leclerc l’éclaire parfaitement et devient un lieu mystérieux auquel on accorde alors que très peu d’attention. De sa position couchée à celle de debout, Maxence Rey inscrit le corps dans une poétique corporelle, celle de ressentir, de prendre possession à nouveau de son corps jusqu’ici dépossédé.
La marche qui suit votre sortie de salle sera à l’image d’Anatomie du Silence, une marche ralentit pour être au rythme de votre écoute.
Suite aux représentations à la Manufacture, Château de Saint-Chamand // Festival Off d’Avignon du 10 au 16 juillet 2018
Avignon – Propos recueillis / Maxence Rey
Après une pièce de groupe percutante, Maxence Rey crée un espace-temps singulier où l’expérience tient de l’immersion et du lâcher-prise.
« Le dispositif créé permet au spectateur de cheminer, avant de pouvoir s’arrêter et s’asseoir. Par ce dispositif, nous interrogeons la manière de pouvoir ralentir les rythmes internes des spectateurs pour pouvoir accueillir l’ensemble de la proposition, qui travaille vraiment sur un rapport au ralentissement, à la lenteur, à la densité dans le corps. J’ai invité le créateur lumière de la compagnie Cyril Leclerc, qui est aussi plasticien, à inscrire au plateau une installation plastique et visuelle, qui devient un élément scénographique, mais également un élément de cheminement, de déambulation du spectateur.
Métamorphoses imperceptibles
Le spectateur pénètre l’espace et découvre l’installation de Cyril, puis il va cheminer et découvrir un corps allongé dans l’espace. Nous invitons alors les spectateurs à s’asseoir dans les gradins du théâtre et à accepter un moment de “dépôt“ de littérature et de poésie écrite. Nous interrogeons l’endroit de tensions entre présence et absence, humain et inhumain, animé et inanimé, unité et fragments, à travers un corps qui va s’ériger, au gré de métamorphoses imperceptibles et continues, qui vont s’agencer, tant pour déconstruire la figure humaine que pour la recomposer, la muer en matière vivante. L’enjeu est de ramener ce corps à un statut de matériau, vivant, brut, malléable, qui en même temps raconte quelque chose de viscéral, d’archaïque. »
Annonce des représentations au Festival Off d’Avignon du mardi 10 au lundi 16 juillet 2018 à 19h35, relâche le 12.
La Manufacture
2 rue des écoles, Avignon, Château de Saint-Chamand
Tél : 04 90 85 12 71. Durée : 1h30 trajet en navette compris.
Un solo radical, en dialogue avec les arts plastiques. Pour contrebalancer le vacarme du monde.
Couchée au sol tel un gisant, Maxence Rey se met à bouger, d’abord de manière presque imperceptible. Dans son défi de la perception, Anatomie du silence est une pièce de résistance. Car il faut de la volonté pour s’opposer à une accélération générale de la vie qui fait perdre la raison. La chorégraphe-interprète de ce solo y oppose ses positions introverties, où la tête cherche son espace à l’intérieur du corps. Résistance aussi à la gravité, plus encore que dans tout envol spectaculaire.
Anatomie du Silence © Delphine Micheli
Au lieu de définir ce parcours d’un corps-sculpture par la lenteur des changements de position, il convient de le placer dans un autre rapport au temps, où chaque instant serait démultiplié à l’infini. Le spectaculaire n’est ici pas absent. Au contraire, il retrouve son sens initial de la contemplation.
Ce corps n’est pas silence. Il demande juste à être écouté. Baigné d’une lumière blafarde, il apparaît parfois comme dessiné par Degas ou Ernest Pignon-Ernest, et empli de l’univers sonore signé Bertrand Larrieu. L’intériorité de la performeuse devient celle du spectateur.
Anatomie du Silence © Delphine Micheli
Ce dépouillement, cette intensification par la concentration spatiale et mentale ne tombe pas du ciel. Anatomie du silence fait corps avec d’autres approches en danse contemporaine. Par son dialogue avec l’installation lumineuse et mouvante, cristalline et ciselée de Cyril Leclerc, Rey aborde la tranquillité dans l’espace-temps infini par le lien avec les arts plastiques.
Son approche est donc différente de celle d’une Myriam Gourfink qui aborde le mouvement, souvent collectif, comme une interaction d’oppositions microscopiques. Ou bien d’une Maureen Fleming, aujourd’hui oubliée en France mais toujours active, qui met le rapport à la nature au centre, dans l’héritage de son intense collaboration avec Kazuo Ohno, Yoshito Ohno et Min Tanaka. On peut encore citer Camille Mutel qui aborde l’écoute du corps en questionnant sa nudité. Et bien sûr la série Jours de silence, initiée par Dominique et Françoise Dupuy.
Anatomie du Silence © Delphine Micheli
Dans Anatomie du silence, Maxence Rey oppose son épure aux pollutions sonore, visuelle et lumineuse ainsi qu’à la pensée unique en matière de croissance économique, toutes héritées du XXe siècle. On ne sait où conduira l’humanité son culte de la vitesse. Rey danse ici comme dans l’œil du cyclone, comme dans un trou noir apaisant. On peut y lire une suite directe à Le Moulin des tentations [lire notre critique], sa pièce précédente. Sans moralisme aucun, Rey s’engage sur le chemin du retour vers une spiritualité de la raison pure. Elle creuse le reflet d’un rapport de plus en plus tendu, celui entre la nécessité d’un équilibre de la conscience collective face à l’individu, traversé par de plus en plus d’extrêmes.
Suite à la création le 27 novembre 2017 au Théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine
Une unique et longue ondulation du corps
J’ai vécu la proposition artistique de la compagnie Betula Lenta comme une expérience réflexive. J’entends par là que, totalement immergée, j’ai perdu la mesure et du temps et de l’espace. Il n’y a plus que moi et cette danseuse sublimée par une scénographie tout en retenue. L’effet sensible est puissant, je n’entends, je ne vois, je ne ressens plus que dans ce lien, devenu intime.
Anatomie du Silence © Delphine Micheli
Un mystère plane, nous sommes invités à pénétrer dans la salle par le plateau, le fond de scène. Dans l’obscurité, trois lucioles flottent dans l’air, points de focalisation qui nous attirent irrémédiablement. Sur elles, de fines gouttes d’eau glissent et poétisent la réfraction mouvante de la lumière. Elles vacillent imperceptiblement. Le dispositif minimaliste est hypnotique, apaisant, fascinant. Il nous conditionne pour recevoir la prouesse à venir. L’installation plastique crée la surprise, tout en nous intégrant dans une ambiance calme et contemplative. Si je pensais voir de la danse, je suis d’ores et déjà confrontée à la magie lumineuse du dispositif. La proposition de la représentation est multi-dimensionnelle mais brillamment pertinente. Le préliminaire est délicieux, je n’attends plus qu’un geste pour traverser la scène et rejoindre mon siège.
Anatomie du Silence © Alexandra A
Le rideau s’entrouvre sur un espace plongé dans une semi-pénombre, jamais une salle de spectacle ne m’a parue être un lieu aussi intime. La danseuse gît, sur un rectangle gris, à peine plus grand que son corps allongé. Sur le dos, immobile, les yeux fixes, elle ne bouge pas. Enfin. Elle semble ne pas bouger d’un poil. Dans un silence religieux, le spectateur traverse la scène et rejoint son siège où l’attend un délicat pliage imprimé sur calque. Ce petit objet symbolise à lui seul l’entière ambition de la représentation. La transparence dans le rôle de la lumière, la plasticité du calque comme jeu sonore et la superposition des mots comme abstraction. Je suis séduite, tout tient dans ce pliage. C’est tout l’art d’une forme de poésie visuelle, celle du Spatialisme que Pierre Garnier définissait ainsi : « J’ai débarrassé la poésie des phrases, des mots, des articulations. Je l’ai agrandie jusqu’au souffle. […] à partir de ce souffle peuvent naître un autre corps, un autre esprit, une autre langue, une autre pensée – / Je puis réinventer un monde et me réinventer. »(1) Cette projection lyrique suffit à esquisser ce qu’il y a d’intraduisible et de beau dans la création de Maxence Rey, Cyril Leclerc et Bertrand Larrieu.
Anatomie du Silence © Delphine Micheli
Une heure passée en un battement de cils. Je suis émerveillée par la douceur qui émane du tableau que j’ai sous les yeux. De la danse dans un théâtre, du théâtre dansé, de la peinture ou de la photographie, de la poésie sûrement, un mouvement comme terrain d’expression ou tout simplement la puissance d’une respiration. Difficile de définir la performance. C’est dans la légèreté du souffle qu’il nous faut nous abandonner. La danseuse immobile ne l’est pas, elle danse. Observez son corps. La courbe de ses reins qui s’élève, subtilement, redescend, reprend son ascension et donne l’impulsion au mouvement continuel et fragile qui ne souffrira d’aucune discontinuité, pas même un tremblement. Une unique et longue ondulation du corps. De cette abstraction corporelle naît l’émotion pure. Ce n’est pas une question de références, « simplement » s’autoriser à écouter nos rythmes intérieurs. Maxence Rey nous emmène sur ce chemin. Accepter de la suivre, c’est faire l’expérience de l’instant présent, elle nous offre ce temps nécessaire à la respiration.
Anatomie du Silence © Delphine Micheli
Mais je parle de corps, le terme est incorrect puisqu’il n’y a plus de corps mais, comme le dit la créatrice, « une matière organique » pénétrée par la lumière de Cyril Leclerc. La collaboration artistique exploite divinement une esthétique propre au dessin, à l’esquisse et au trait. La ligne, puisée dans ce corps immatériel, caresse les courbes offertes par la torsion d’une colonne vertébrale. La jambe devient bras, les perspectives créent des raccourcis, et la déformation du corps due aux contorsions en donne une nouvelle perception. Ce corps devient matière mais garde sa trace anthropomorphique dans un jeu sans fin sur les plis de la chair. La mise en scène introduit avec force et délicatesse une bidimensionnalité dans le réel. Malgré ces sous-vêtements qui brisent la fuite de mon regard, c’est sincèrement beau !
Anatomie du Silence © Delphine Micheli
Même s’il n’est pas question de références, la création jouit de plusieurs niveaux de lectures. L’expérience sensitive est prégnante, elle est aussi culturelle. Comment passer à coté de l’aspect photographique du travail de ces trois là. Le corps féminin, sublimé par la lumière, rappelle les Bodyscape d’Anton Belovodchenko. Le corps abstrait comme les végétaux d’Edward Wetson(2). La peau se mue, notre œil fige les positions à la manière d’un objectif, c’est l’image du mouvement qu’il dévoile. Elle est sur le dos, en équilibre, assise, debout. Que s’est-il passé entre ces états ? Un instant suspendu, un geste immobile. Maxence Rey et ses invités expérimentent les limites de la danse en flirtant avec le silence recréé par un va-et-vient sonore, allié à une chorégraphie que seule la variation lumineuse permet d’effleurer. Un au-delà de la sensualité qui frôle mon esprit.
Edward Weston Pepper No. 30 1930 – Anton Belvodchenko Bodyscape 2015
Au salut final, l’épuisement mêlé de soulagement s’affiche sans réserve sur le visage de la danseuse.
Alexandra A.
Anatomie du Silence création de la Compagnie Betula Lenta – Maxence Rey, née d’une résidence en 2017 au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine (94), vu le 26 novembre 2017.
Une représentation exceptionnelle aura lieu le mardi 9 janvier 2018 à 17h à la Briqueterie.
Diffusion à venir courant saison 18/19 – 2 à 4 représentations au Théâtre de Châtillon (92320).
(1) Pierre Garnier, « Un art nouveau : la sonie », in Les lettres, 8e série, 31, 1963
(2) Le photographe capture ce qu’il y a de charnel dans des légumes, sa photographie la plus connue est sûrement Pepper No. 30, 1930
Métamorphoses du regard
Par trois fois rien cela a commencé, ou continué d’avant, avec l’à peine présence de trois faibles lumières, des gouttes d’eau incertaines, l’immersion dans une obscurité d’encre. Il faudrait le silence. Mais aujourd’hui celui-ci est troublé – nous sommes l’après midi – par des hordes de scolaires, en grappes gloussantes.
L’extérieur s’impose donc avec toutes ses agitations. Pourtant Maxence Rey nous abstrait, installe le ralentissement, son corps déposé là assez loin de nous, allongé sur le blanc. D’abord l’immobilité. Qui sourdement nous agit, persiste, nous engourdit. Il reste intangible, ce moment où s’amorce un mouvement. L’état initial à changé, infinitésimalement. La position du corps n’est peut-être plus tout à fait la même. Mais pour autant cela ne fait pas naitre le temps. Immobile. Immobile. Immobile. Immobile. Immobile. Immobile. Immobile… Ou presque pas. Peu à peu, à force de ce peu, l’interprète vient à bout de toutes les impatiences : de celles qui se manifestaient un peu bruyamment, même de la mienne plus intérieure et discrète, le bouillonnement des résidus de toutes les irritations et excitations qui constituent une journée ordinaire. Dans le déplacement qu’elle crée, c’est alors le regard qui se trouble, à force de tenter de se focaliser sur cette présence. Qui maintenant vit, mais autrement. La lumière – de Cyril Leclerc – nous trompe et recompose les formes, fait naitre de mystérieuses créatures sous la peau, sculpte le corps, désormais retourné, en trois entités séparées, indépendantes : buste, bassin, jambes. Ou transforme les coudes en visages, les mains et pieds en figures animales. Plus vraiment des postures, plutôt des transformations. Très loin de l’humain. La musique – de Bertrand Larrieu – crée une temporalité fluctuante et inquiète. Nous sommes de bon installés dans l’étrangeté. L’entité qui finit par s’ériger, et, soudain sujet, considère froidement les spectateurs hypnotisés, n’est pas plus rassurante. Par des chemins chaque fois renouvelés, Maxence Rey poursuit sa quête sardonique et troublante de la monstruosité.
Suite à la création le 27 novembre 2017 au Théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine
ANATOMIE DU SILENCE par Maxence REY ou L’ASCÈSE SENSITIVE
La danseuse contemporaine Maxence Rey dépose le silence dans le corps, à l’endroit où il respire. Couchée, investie de séismes doux, elle est parcourue d’immobilités. Voyage fertile au pays de la lenteur où la luminosité précise ses stances. Le créateur lumière, Cyril Leclerc, imbibe la surface mouvementée du corps. Cristallisation rêveuse des imprévisibles. Là, dans la prière du souffle en excès de ralentis, Maxence Rey nous cueille comme une évidence. La maturité s’acquiert dans la forme qui s’élève, s’opère par micro convulsions. Dans l’épiderme, s’incruste la musique de Bertrand Larrieu comme le souvenir des forces qui nous composent. Dans le corps de Maxence Rey, la montée du silence trace l’apparition d’une solitude qui nous convoque. Ascèse sensible, autoportrait d’une pure passion où le temps à naître éprouve nos patiences. ANATOMIE DU SILENCE est un lent précipité et signe cet endroit où il est encore temps de « supporter l’intensité » comme l’écrit Serge Papiernik.
Suite à la création le 27 novembre 2017 au Théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine
Le solo de Maxence Rey relève à la fois de la pièce chorégraphique minimaliste et de l’installation plastique et sonore, le silence étant un but inatteignable, dans la nature comme dans notre culture, associé à l’obscurité et à l’immobilité.
Le titre bien trouvé, Anatomie du silence, peut faire songer au film américain Autopsie d’un meurtre (en v.o. : Anatomy of a Murder de Otto Preminger, 1959). La danseuse-chorégraphe prend le temps qu’il lui faut (une heure environ) pour disséquer, non l’absence de musique, de bruit ou de son telle qu’elle peut être obtenue en chambre anéchoïque, qui intéresse phonéticiens, linguistes et musiciens – John Cage étant l’un de ceux à avoir exploré la question en tous sens, avant de se passionner pour l’aléatoire – mais plutôt celle du mouvement dansé, du geste signifiant, de l’acte expressif. Le mutisme du corps, la discrétion de l’attitude, l’étude de la structure du mouvement en tant que tel, qui a toujours fasciné sages et philosophes, scientifiques et artistes. La chronophotographie et la prise de vue au ralenti n’ont pas seulement permis de capter le mouvement avec acuité, mais en ont radicalement changé la perception. Voire, comme c’est le cas depuis le futurisme, depuis Duchamp, depuis tant d’autres, transformé le geste lui-même. Le cinématographe, qui a la même étymologie que la chorégraphie, n’a cessé d’influencer celle-ci durant tout le XXe siècle. Anatomie du silence invite à la méditation, à la cessation d’activité ou, plus exactement, de toute agitation.
Dissection de la pensée
Nous sommes conditionnés dès notre entrée en salle qui se fait par une voie détournée, pour ne pas dire initiatique. Le tiercé de lucioles tamisant l’ombre absolue des coulisses nous habitue à la vision scotopique des chats mais aussi à la loi du silence, celle qui règne dans le cadre solennel ou religieux, les amphis de médecine, les cimetières, les morgues. Privé d’objet, nous sommes alors dans le recueillement, la spéculation, la « dissection de la pensée » dont parle Alfred de Vigny. Une fois ouvert le rideau, nous traversons le plateau et découvrons la danseuse allongée, immobile, baignant dans une lumière économe, le corps à peine voilé de sous-vêtements couleur chair. Le spectacle commence, le rituel aussi, et la leçon d’anatomie, dans le clair-obscur des peintres du nord. Gretchen Schiller, qui usa dans les années 1990 de l’effet de ralenti pour filmer la capoeira, cite Anna Halprin, référence « éclairante » dans le cas qui nous occupe : « Le mouvement a lieu partout et tout le temps. Il est dans nos cellules, la pulsation de notre sang, le rythme de notre respiration. » Le jeu de patience de Maxence Rey rappelle, dans sa simplicité même, la recherche de la position idéale, ou du moins confortable, qui fait l’objet de monologues intérieurs entre les amoureux du film de Buñuel et Dali, L’Âge d’or. « On arrête tout et on réfléchit », conseillait le dessinateur Gébé au sortir de 1968. Ce mode de vie, somme toute écologique, appliqué à la danse, a quelque chose de yogique – on pense au travail de Katia Feltrin et à celui, déjà repéré, de Myriam Gourfink.
Dissection du mouvement
Un mouvement ou une suite gestuelle qui en temps ordinaire prend, à tout casser, une demi-minute, peut s’estimer ici à cent fois plus. Le plan d’action se résume à un simple exercice, comme ceux préconisés par les maîtres du butô – d’Hijikata à Kazuo Ôno, en passant par le fils de ce dernier, Yoshito, par Takao Kawaguchi et par Akaji Maro. La belle gisante passe insensiblement de la position horizontale initiale à la station debout sans que l’on distingue, dans un premier temps, les changements de phase : cambrure du dos, courbure de la jambe droite, pivotement du torse sur la gauche, pelotonnement amputant optiquement bras et jambes, placement d’un bras derrière la tête, réapparition, comme par magie, des membres inférieurs, formation d’un « v » puis d’un « u » avec l’aide des membres, écriture par ces moyens du chiffre « 8 », symbole d’infini. Une bande sonore conçue par Bertrand Larrieu et l’auteure – mixant stridulations, coups d’archet sur cithare, violon ou violoncelle, sirène de train, rumeur urbaine et percussions – maintient l’attention que réclame ce solo de peu de variation. L’éclairage de Cyril Leclerc, oranger puis bleuté et, pour finir, soufflant le chaud et le froid, contribue à magnifier la continuité faite d’une multitude de micro-événements. Autant de sensations fortes pour le public réceptif comme pour l’interprète et, sans doute aussi, de pensées volantes.
Suite à la création le 26 novembre 2017 au Théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine
Après une pièce de groupe percutante, Maxence Rey crée un espace-temps singulier où l’expérience tient de l’immersion et du lâcher-prise.
Cette nouvelle pièce diffère, du point de vue de la forme, de la précédente, Le Moulin des Tentations. Pourquoi cette idée de plonger le spectateur dans ce type d’immersion ?
Maxence Rey : Il n’y a pas de rupture totale d’une pièce à l’autre, dans le sens où l’on reste dans une boîte noire. Mais le dispositif va permettre au spectateur de cheminer, avant de pouvoir s’arrêter et s’asseoir. La pièce est centrée sur l’idée de ralentir, tout simplement. Par ce dispositif, nous interrogeons la manière de pouvoir ralentir les rythmes internes des spectateurs pour pouvoir accueillir l’ensemble de la proposition, qui travaille vraiment sur un rapport au ralentissement, à la lenteur, à la densité dans le corps. Et dans ce dispositif-là j’ai invité le créateur lumière de la compagnie Cyril Leclerc, qui est aussi plasticien, à inscrire au plateau une installation plastique et visuelle, qui devient un élément scénographique, mais également un élément de cheminement, de déambulation du spectateur pour pénétrer l’espace de représentation.
Quelle est la place du corps de l’interprète dans tout ça ?
M. R. : Il s’inscrit dans cette installation. Le spectateur pénètre l’espace et découvre l’installation de Cyril, qui nécessite de s’arrêter, même s’il n’y a aucune obligation à cela, puis il va cheminer, sinuer, pour pouvoir, en marchant, découvrir un corps allongé dans l’espace. Puis nous invitons les spectateurs à s’asseoir dans les gradins du théâtre et à accepter un moment de “dépôt“ de littérature et de poésie écrite. Avec le son, on vient interroger le rapport au temps, à l’espace, et, plus particulièrement, l’endroit de tensions entre présence et absence, humain et inhumain, animé et inanimé, unité et fragments, à travers un corps qui va s’ériger.
Le chemin chorégraphique tend donc vers l’élévation.
M. R. : Absolument, le chemin chorégraphique est très simple, mais dans une temporalité très singulière qui appartient à une temporalité du vivant. C’est un corps qui de la posture allongée va s’ériger, au gré de métamorphoses imperceptibles et continues, qui vont s’agencer, tant pour déconstruire la figure humaine que pour la recomposer, la muer en matière vivante. L’enjeu est de ramener ce corps à un statut de matériau, vivant, brut, malléable, qui en même temps raconte quelque chose de viscéral, d’archaïque.
Annonce de la création les 26 & 27 novembre 2017 au Théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine
Avec le projet Anatomie du Silence, la danseuse et chorégraphe Maxence Rey, seule en scène, porte, épaulée par sa compagnie Betula Lenta, une idée inventive de poétique à part. A part de quoi? De qui? De nos paysages urbains, où la ville charrie force bruits qui sont autant de sources au quotidien de stress que d’origines de l’oubli des personnes que nous sommes. Anatomie du Silence, précisément, se propose de nous retrouver, et d’oublier – au sens d’oubli comme fondement de la vie – les entraves à notre être. Malaise dans la civilisation, disait Freud. Mal-être dans la ville, répond Maxence Rey. La réponse est riche d’un travail partagé avec le créateur plasticien Cyril Leclerc, et l’orfèvre son Bertrand Larrieu. Une réflexion donc, aussi onirique que rigoureuse sur les moyens de se concentrer sur notre corps, ses sensations (la plupart du temps perdues), ses désirs, ses aspirations à autre chose. Présentée en première au Théâtre Jean Vilar, cette création 2017, qui est soutenue en termes de production par le CND, Micadanses, La Briqueterie CDC du Val-de-Marne notamment, sera donnée aussi, de façon sûre, à l’heure où nous signons cette page, au Théâtre de Châtillon (dates à confirmer). Souhaitons un bel avenir à ce projet de valeur – celle de nous replacer en nous-mêmes, loin des pertes et fracas des contraintes urbaines de notre temps.
Annonce de la création les 26 & 27 novembre 2017 au Théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine
La chorégraphe Maxence Rey, à la tête de la compagnie Betula Lenta depuis 2010, creuse une voie artistique, obsédée par « l’imperceptible, le frémissement… pour faire émerger des états de corps singuliers où la figure côtoie la défiguration ; le charnel, l’informe ; l’humain, l’inhumain ; le tout en prise avec la souveraineté du fantasme ». Elle s’attaque aujourd’hui, avec son nouvel opus, un solo intitulé Anatomie du silence, au thème de la lenteur et de l’écoute, en revendiquant « une attention au subtil ». Avec cinq pièces à son actif, Maxence Rey, passée par la danse classique et le contemporain, commence à faire parler d’elle.
Annonce de la création les 26 & 27 novembre 2017 au Théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine
En Anglais
A radical solo in dialogue with the visual arts. To offset the din of the world.
In its perceptive challenge, The Anatomy of Silence is a great accomplishment. For it takes tremendous willpower to resist a general acceleration of life which makes us lose our heads. This dancer-choreographer’s solo resists it with her introverted positions, where the head looks for its space within the body. Resistance to gravity too, even more than in any spectacular soaring through the air. (…) The inwardness of the performer become that of the spectator. (…) Maxence Rey dances here as though in the eye of the cyclone, in a calming black hole.
A single long undulation of the body
An hour spent in the blink of an eye. I’m amazed at the gentleness that emanates from the tableau I have before my eyes. Dance in a theater, dance theater, painting or photography, poetry certainly, movement like a creative space or simply the power of a breath.
Metamorphosis of the Gaze
In the movement Maxence Rey creates, it is the eyes that struggle to try to make out this presence, which is alive now but differently. The lights – by Cyril Leclerc – fool us by recomposing shapes, engendering mysterious creatures beneath the skin, sculpting the body which has now gone back to three separate entities : bust, pelvis, legs. Or transforms elbows into faces, hands and feet into animal figures. No longer really postures, rather transformations. Far removed from the human. Bertrand Larrieu’s music creates a fluctuating and unsettling temporality. We have settled permanently into strangeness.
The Anatomy of silence
Maxence Rey’s solo is both a minimalist choreographic piece and a visual and sound installation : given that silence is an unattainable goal in nature as in culture, associated with darkness and immobility. (…) The Anatomy of Silence invites us to mediate, to cease all activity or more precisely all bustle (…) Strong sensations for the receptive audience as well as for the dancer and doubtless also a lightness of thought.