Hélène Lanscotte – Écrivain / 10 juin 2013

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Suite à la performance présentée le 16 mai 2013 dans le cadre de la Carte blanche à Maxence Rey à L’étoile du nord/Paris

Captiver le regard du spectateur en salle pourrait être la moindre des choses du spectacle vivant. S’agissant d’une performance où deux présences silencieuses et quasi immobiles se montrent, quelles qualités de regards sont alors amorcées ?
Convoquer la liberté de celui qui lit, qui écoute, qui regarde – toujours en revenir à cela.
Nous faisant face, une femme – un homme. Une femme d’abord, un homme ensuite, et ce dans notre lecture occidentale de gauche à droite. Une femme, un homme et non pas un homme-une femme, avec la primauté du masculin, avec l’image du couple marital.
Ces deux êtres se tiennent également, pour ne pas dire à égalité, sur la même ligne.
Chacun, nu, assis sur une chaise. Cependant la tête est moulée dans un bas pâle qui occulte les traits du visage. Ils portent la même perruque noire de jais, cheveux coupés au carré.
Gémellité des visages donc, autant qu’absence totale de distinction identitaire. Une privation de ce prime abord qu’est notre face. Une face invisible à nous-même offerte à autrui. Ici, la face est sans caractère, sans signes distinctifs.
Pire qu’une neutralité : un effacement.
Dès lors, notre œil, rabroué dans son avidité de reliefs, refoulé dans son besoin de reconnaissances de visages, se dirige vers le corps – puisque lui, est à nu. Puisque lui, montre tout de lui, simplement, sans artifices.
Et puisque le visage ne raconte plus, à nous de lire ces corps qui disent d’eux-mêmes, de leur sexe, de nous.
Des corps qui s’exposent comme des visages peuvent le faire dans leur tension, leurs relâchements – sans fard, sans chercher à exprimer volontairement.
Le corps ne danse pas. Il est assis, non pas dans la recherche d’un maintien, d’une tenue face à l’autre. Il est seul comme lorsque, seul, on se sait un visage qui, si nous le croisons dans un miroir, nous désappointe. Aucune recherche de beauté d’apparence, aucune offrande au voyeurisme. Le corps est.
Mais il est « deux ». Deux corps assis, et entre, un espace équivalent à environ deux chaises côte à côte.
Vide. Fossé. Distance. Absence. Trait d’union. Lequel de ces mots ai-je envie d’employer ? Un seul ? Passer de l’un à l’autre ? Tous trahiront un, des, états différents.
Et ces deux-là, figures primordiales d’Adam et Ève au présent ? Couple de fin d’un monde ? Solitudes sexuées – entre eux qu’y a-t-il ? Que se joue-t-il ? Rien ? Le  difficile apprentissage de la différence ? L’indifférence ?
Ils ne se regardent pas. Ils ne se voient pas. Et pour cause, ils ne possèdent pas de regard. Au mien, provoqué, de ne pas s’arrêter en chemin.
L’œil sépare. L’œil rassemble. L’œil est capable de tout. Il va de l’un à l’autre, regarde chacun isolément, choisit de regarder l’un, pas l’autre, et inversement ; de les écarter davantage – créer le gouffre. Ou d’accoler les deux, tout en leur laissant cette distance, comme s’il s’agissait de pouvoir choisir son sexe, comme si l’heureuse différence s’affirmait dans l’exacte symétrie de leurs mouvements. J’ai deux yeux, un pour chaque sexe.
De leurs mouvements tantôt lents d’ensommeillés, tantôt hachés de surprise, transpire, à défaut du langage articulé de la bouche, le langage articulé du corps.
Un corps s’articulant et donc formulant un langage qui lui est propre.
Détournement, chemin de traverse pour parvenir au simple. (Pas de création sans cela.) Ainsi, l’évidence du langage corps-danse, du corps décapité de sa tête-pensées, des mots bannis…
Ou la similitude qui assemble – réassemble le tout, enfin, dans l’humain


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